La digitalisation de l'économie s'est accompagnée de bouleversements structurels majeurs. Longtemps hégémoniques, les grands groupes doivent désormais rivaliser avec des start-ups ambitieuses et innovantes. Un antagonisme indépassable ? Assurément pas !
Comme souvent en matière de lutte, les adversaires ont compris l'intérêt d'une alliance bien maîtrisée. Zoom sur le corporate venture, ou le pacte conclu par Goliath avec David.
Le corporate venture, c'est quoi au juste ?
Le corporate venture, ou dispositif de capital-investissement d'entreprise, a été présenté en novembre 2013 par Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie et des Finances. Pour encourager les grandes entreprises à investir dans les jeunes pousses prometteuses, le gouvernement de l'époque a imaginé un dispositif fiscal particulièrement incitatif : les investissements réalisés peuvent ainsi être amortis sur 5 ans, s'ils n'excèdent pas 20 % du capital des PME financées.
Et le succès fut au rendez-vous ! En 2015, 40 % des entreprises du CAC 40 disposaient déjà d'un fonds dédié au corporate venture. L'année suivante, ce sont quelques 2,7 milliards d'euros d'investissements qui ont été réalisés par ce biais, contribuant ainsi à nourrir la vitalité de l'écosystème des start-ups françaises. Cet engouement ne semble pas devoir se démentir.
Une complémentarité assumée
« On a souvent besoin d'un plus petit que soi »
Cette vérité énoncée par Jean de La Fontaine il y a plus de trois siècles n'a pas pris une ride ! Les mastodontes du CAC 40 envient aux start-ups embryonnaires leur capacité à percevoir le monde de demain et à anticiper ses bouleversements.
Agiles et réactives, les petites entreprises s'adaptent aisément aux changements du marché. Les grands groupes, pénalisés par leur inertie, ne peuvent pas se prévaloir des mêmes facultés d'adaptation. La complémentarité de ces deux types d'entités devaient donc tout naturellement les conduire à se rapprocher.
Pour le grand groupe, des objectifs stratégiques
Au-delà de l'incitation fiscale, l'intérêt des grands groupes pour le corporate venture réside dans la réalisation d'objectifs stratégiques :
- La veille concurrentielle : Pour conserver leur suprématie, les grandes entreprises historiques doivent désormais lutter avec une kyrielle de start-ups aux stratégies de développement agressives. La solution ? Transformer la menace en opportunité, par le biais du corporate venture ! C'est ainsi qu'en juillet 2016 Danone a acquis 40 % des actions de la société Michel & Augustin. En investissant dans une jeune pousse emblématique de la génération Y, Danone a pu mieux appréhender les nouveaux modes de communication propres aux millennials.
- L'externalisation du R&D : À l'heure où les grandes entreprises sont confrontées à la nécessité d'optimiser leurs budgets Recherche & Développement, le corporate venture apparaît comme une alternative séduisante. Novartis n'a ainsi pas hésité à injecter un milliard d'euros dans un fonds baptisé Novartis Venture Fund, afin d'externaliser dans des startups performantes le développement de futurs médicaments. Une stratégie payante, quand on sait qu'un euro investi en corporate venture rapporte 3 fois plus qu'un euro investi en Recherche & Développement !
Pour la start-up, un accélérateur de croissance
Bénéficier du soutien d'un grand groupe permet aux start-ups de raccourcir les phases de "go-to-market" de leurs produits. Un enjeu majeur pour ces petites entreprises évoluant dans des secteurs où la vitesse est un facteur discriminant !
Par ailleurs, les PME ont tout à gagner sur le terrain de la crédibilité, lorsqu'elles peuvent se prévaloir de la présence d'un investisseur de renom à leurs côtés.
Enfin, le corporate venture permet souvent aux entreprises naissantes de doper leur stratégie marketing. Pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir du logo de Spotify trônant fièrement sur les canettes de Coca-Cola !
Une cohabitation qui comporte des risques !
Toute médaille a son revers, et le corporate venture ne déroge pas à la règle ! Entre une start-up résolument tournée vers l'avenir et un grand groupe héritier de son passé, les risques d'incompatibilité culturelle ne sont pas rares.
À cela s'ajoutent les conflits liés aux éventuels transferts de technologie entre l'entreprise mécène et sa jeune protégée. Citons par exemple le cas de la start-up Myid.is.certified, qui bénéficia du soutien du groupe La Poste, auquel elle reprocha par la suite d'avoir copié son procédé d'identification digitale des identités. Des échecs qu'il convient certes de ne pas ignorer, mais qui n’entachent en rien le succès grandissant du corporate venture.