En 2024, la consolidation du marché des conseillers en gestion de patrimoine (CGP) est désormais dominée par les grands acteurs. La première moitié de l'année a été marquée par une accélération de ce phénomène, amorcé après la pandémie.
C’est un mouvement qui avait démarré après la pandémie et qui s’est brutalement emballé ces derniers mois. Le secteur de la gestion de patrimoine connait aujourd’hui un mouvement de consolidation inédit. Et depuis début 2024, cette consolidation du marché des conseillers en gestion de patrimoine (CGP) est désormais dominée par les grands acteurs du secteur. La première moitié de l'année a été marquée par une accélération intense du phénomène, amorcé après la pandémie. Malgré l'incertitude économique et géopolitique, les principaux groupes ont ainsi continué leurs acquisitions.
C’était l’opération phare de début d’année : le rapprochement entre le groupe Cyrus et la maison Herez, donnant naissance à un nouvel acteur, disposant de 16,7 milliards d'euros d'actifs sous gestion. Ensemble, les deux groupes veulent mettre à profit leurs forces pour continuer à grandir dans l'ingénierie patrimoniale, la gestion financière (avec les marques Amplegest, Fourpoints, Octo AM), les produits structurés, l'immobilier ou encore le private equity.
Crystal, l'un des leaders français avec le groupe Cyrus, a lui entamé dès janvier des négociations avec Opti Finance avant de boucler l’acquisition au mois de mars et de poursuivre son expansion avec l'intégration de trois nouveaux cabinets d’un coup : PCA Finance, Opes Patrimoine et Kara Finance – Previka, soit l’équivalent de 440 millions d’euros d’encours.
Ces opérations, souvent de grande envergure sur des acteurs de taille intermédiaire, deviennent rares, renforçant l'influence des grands groupes dans le secteur.
En parallèle, Crystal a poursuivi sa stratégie de croissance en capitalisant sur les opportunités du marché. Tandis que Primonial recentrait ses activités sur l'immobilier sous le nom de Praemia REIM, Crystal en a profité pour acquérir sa branche de distribution, Primonial Ingénierie et Développement. Avec cette acquisition, Crystal gère désormais 22 milliards d’euros d’encours et affiche un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros. L’entrée de Goldman Sachs Private Equity en tant qu'actionnaire majoritaire, valorisant le groupe à 920 millions d’euros, n’a fait que témoigner de l'attractivité croissante du groupe créé il y a plus de 30 ans.
Astoria Finance a réalisé, en début d'année, la plus importante acquisition de son histoire, intégrant six cabinets de gestion de patrimoine ainsi qu'une société de gestion. Grâce à cette opération, le groupe a dépassé les dix milliards d’euros d’encours sous gestion. Soutenu par Naxicap Partners depuis 2007, Astoria a désormais sous son giron des cabinets tels qu'Action Patrimoine Conseil et Watson Patrimoine. Par ailleurs, le groupe Apicil, via Intencial Patrimoine (sa structure dédiée aux CGP), a finalisé l'acquisition complète d'Alpheys, détenant désormais 100 % de cette plateforme dédiée aux professionnels.
De son côté, le groupe Premium (créé et présidé par Olivier Farouz) a également activement poursuivi ses acquisitions. Sous la direction de Yann Pelard (ex-Cardif), le pôle CGP a renforcé sa présence en France en prenant une participation majoritaire dans Valetys et en rachetant Neolife, spécialisé dans les produits structurés. Ensuite, le cabinet marseillais Sefima (filiale du groupe) a acquis trois cabinets supplémentaires. Mais c’est surtout l’acquisition d’ID Groupe a marqué une étape clé pour Premium, lui permettant de franchir la barre des 10 milliards d’euros d’encours et de pénétrer le marché de la gestion de fortune des sportifs professionnels.
Un élément commun entre Crystal, Premium et Astoria est la présence d’investisseurs financiers de poids au capital des structures, jouant un rôle clé dans la consolidation du marché des CGP. Au cours du premier semestre, plusieurs opérations de LBO ont eu lieu, illustrées par l’entrée de Capital Croissance chez Synalp en tant qu’actionnaire minoritaire. Orion a également changé de partenaire financier, passant de Siparex à Ardian via son fonds Expansion 6. Orion qui se distingue par son modèle hybride, combinant une plateforme multi-services et un réseau de plus de 30 cabinets en gestion directe.
Depuis le début de l’année, la tendance à la consolidation a aussi touché les acteurs plus modestes. Le groupe Rhétorès a finalisé au mois de juillet l'acquisition de CGP Profil Finance, marquant ainsi sa cinquième acquisition depuis l'arrivée du fonds Activa à son capital. De son côté, Novalia Patrimoine a entamé une phase de croissance externe en réalisant sa première acquisition : un cabinet de gestion de patrimoine à Épinal, dont le portefeuille compte 200 clients et représente 15 millions d’euros d’encours.
De tous les facteurs qui permettent d’expliquer cette tendance, on en retiendra les suivants :
Une lourdeur réglementaire croissante pour le secteur. Initialement, ces métiers de la gestion de patrimoine pouvaient s’effectuer de manière indépendante, mais l’inflation réglementaire rend de plus en plus compliqué d’opérer seul en termes de conformité, de production documentaire et de suivi, tout cela demande des outils techniques et coûteux. Il y avait déjà une tendance au regroupement des conseillers en gestion de patrimoine indépendants en petits groupements pour mettre en commun les outils de conformité ; les process et aussi la gamme produits.
La gamme produits qui est, elle aussi, un axe expliquant l’accélération des concentrations. On constate une complexification récente des classes d’actifs : l’investisseur privé a désormais le choix entre coté, non coté, et des dispositifs fiscaux de plus en plus fins, qui demandent une expertise plus large et plusieurs savoirs faire au sein de la même structure, un nouvel alourdissement pour les indépendants s’ils souhaitent pouvoir offrir à leurs clients un maximum d’opportunités.
Si on se place d’un point de vue plus financier : autrefois, les sociétés de gestion ont connu un âge d’or auprès des investisseurs institutionnels qui représentaient la quasi-intégralité de leur collecte. Aujourd’hui, on se dirige à toute berzingue vers une retailisation de l’épargne avec en nouveaux investisseurs phares les épargnants privés et donc la création de beaucoup de valeurs pour les réseaux de distribution. “La valeur s’est donc déplacée du gestionnaire vers le distributeur” souligne Joachim Dupont, président d’Anaxago Capital. Avec des frais importants et une récurrence des revenus, car le gestionnaire est désormais très souvent intéressé sur une partie des frais de gestion, hors les frais d’entrée initiaux, le CGP crée ainsi une nouvelle profitabilité décuplée pour son service. Le tout a renforcé la rentabilité de ces acteurs, en faisant des cibles idéales pour les fonds de LBO face à la prévision et la récurrence de leurs revenus.
Ces rachats effrénés sont-ils en train de redessiner le paysage de la gestion de patrimoine en France (93 milliards d’euros d’encours selon le dernier Baromètre CNCGP en 2024) ? Rien n’est moins sûr, beaucoup d’acteurs restent farouchement attachés à l’indépendance de leur marque, généralement le facteur de confiance le plus important avec les familles qui leur confient la gestion de leur patrimoine. Le vrai sujet sera sans doute la prise du tournant de la digitalisation de l’épargne, qu’un secteur trop fragmenté empêchait de réellement se développer. Avec la concentration des acteurs, on peut espérer voir apparaitre des outils de conseil, d’allocation, de souscription et de suivi qui adopteront les codes, la fluidité et l’efficience du digital.